Comment garder son élan entrepreneurial tout en structurant une organisation qui grandit ?

Youssef Oudahman revient sur son parcours entrepreneurial et dix années d’aventure Meet My Mama, entre crises, apprentissages et maturité. Un témoignage partagé lors de notre soirée annuelle les Rencontres&+.

Youssef Oudahman, Co-fondateur de Meet My Mama

  • Peux-tu revenir sur les grandes étapes de développement de Meet My Mama et sur les enjeux qui ont caractérisé chacune de ces phases ?

Chez Meet My Mama, notre mission est claire : donner à un maximum de femmes passionnées par la gastronomie la possibilité de vivre de leur talent culinaire. Concrètement, nous avons trois métiers :

  • De la pré-formation,
  • De la formation, avec deux trajectoires possibles : entrepreneuriat ou employabilité dans les métiers de la cuisine,
  • Et une activité traiteur.

Nous existons depuis 10 ans et nous avons traversé trois grandes étapes de développement.

Je dirais qu’il y a d’abord eu la genèse (2016-2019) où nous étions « tout feu tout flamme », à explorer, tester et poser les premiers jalons de nos activités. C’était une phase très entrepreneuriale, très innovante.

Ensuite, en 2020, le Covid a été une épreuve très brutale. Je me souviens qu’en mars 2020, nous avions 250 000 € de commandes prévues, qui sont tombées à 0 en seulement quelques jours. Toute notre activité événementielle s’est effondrée et cela a duré jusqu’en 2022. Il a fallu se réorganiser, tenir bon et relancer la machine.

Enfin, à partir de 2022, nous avons vécu une phase de relance, pendant laquelle nous avons restructuré, consolidé et reconstruit sur des bases plus solides.

J’ai compté, depuis la création de Meet My Mama, nous avons connu sept crises externes (Covid, gilets jaunes, grèves de 2019, inflation, conflits internationaux, crise budgétaire …). A chaque fois, il a fallu s’adapter, tenir le cap et rester fidèles à notre raisin d’être.

Aujourd’hui, je crois que l’écosystème et le modèle sont stabilisés.

  • Dirais-tu que la maturité de Meet My Mama passe aussi par la façon dont tu t’es construit en tant que leader ?

Bien sûr ! Ces dix années ont également été une trajectoire personnelle. J’avais 28 ans quand j’ai démarré l’aventure Meet My Mama et mes deux co-fondatrices (Loubna Ksibi et Donia Souad Amamra) avaient 23 ans. Nous avons grandi en même temps que l’organisation, parfois dans la douleur. A titre personnel, j’ai fait des erreurs, j’ai parfois « cramé » mes équipes et j’ai souvent douté de ma place et de mes capacités.

Peu à peu, j’ai compris que je n’étais pas bon partout. La maturité, c’est ça aussi : reconnaître ses forces et ses limites, et s’entourer.

Un autre défi, très personnel, est celui du sacrifice. Jusqu’où se sacrifier soi-même pour son projet ? Jusqu’où sacrifier ses équipes ? En grandissant, j’ai appris à mettre en place des soupapes : me protéger, prendre du recul, accepter de lâcher prise, assumer que je peux avoir besoin de vacances ou de loisirs sans culpabiliser.

Enfin, il a fallu gérer les désillusions : on démarre en voulant changer le monde, puis on découvre que le quotidien est fait de problèmes très concrets (livraisons, logistiques, structuration et management des équipes, tensions sur la trésorerie …). Mais c’est aussi dans ce quotidien que se loge l’impact réel.

  • Au-delà du défi humain, quels sont les principaux apprentissages à faire pour atteindre la maturité ?

L’un des plus grands apprentissages a été de déconstruire mes idéaux de croissance et de passer d’une logique de croissance quantitative à une logique de croissance qualitative.

Au départ, nous voulions accompagner massivement un grand nombre de femmes, et avoir des chiffres importants à communiquer. En réalité, cela mettait nos bénéficiaires en danger et fragilisait notre modèle.

En 2020, nous avons assumé un virage : accompagner moins de femmes, mais mieux, de façon pérenne et qualitative. Ça a été difficile – notamment vis-à-vis de certains financeurs – mais payant.

De façon plus générale, la maturité, pour moi, c’est aussi d’accepter que l’avenir est incertain. Dans l’ESS, nous sommes en gestion de crise permanente. Mon conseil – ou plutôt ma mise en garde – c’est de ne pas se lancer sans réfléchir. Ce n’est pas parce qu’on a de belles compétences et beaucoup de motivation que cela suffira, beaucoup de factures échappent aux entrepreneurs sociaux.

Et peut-être qu’aujourd’hui, plutôt que de lancer toujours plus de projets, il faudrait consolider l’existant, renforcer les structures pour ne pas multiplier les initiatives et risquer de cannibaliser l’écosystème. D’ailleurs, Meet My Mama est né de la fusion de deux projets. C’est probablement une voie qu’il faudrait explorer davantage.

Propos recueillis lors des Rencontres&+ du 30/09/2025.