Hybridation des modèles socio-économique d’intérêt général : de quoi parle-t-on ?

Le 13 septembre dernier se sont déroulés les Rencontres&+, l’évènement annuel d’Entreprendre&+, cette édition était consacré à l’hybridation des modèles socio-économiques des associations. Jérôme Schatzman, de la Chaire Innovation Sociale de l’ESSEC est venu nous apporter son expertise sur le sujet. Entretien.

Si le secteur associatif occupe une place grandissante dans notre société, en particulier pour répondre aux grands enjeux d’intérêt général, il est en profonde mutation depuis déjà plusieurs années. Les besoins sociétaux augmentent et dans le même temps, les ressources ont tendance à se raréfier. En complément de l’action publique, des acteurs privés comme les associations, les fondations, le monde académique ou encore les chercheurs assument des missions d’intérêt général. De l’action associative à l’engagement des fondations, des politiques RSE des entreprises aux nouvelles formes d’investissement solidaire, les modes d’action se diversifient autour de 3 logiques complémentaires : 

  • Une logique de solidarité, notamment via le don financier, en nature ou en compétences
  • Une logique d’investissement, via le prêt ou la prise de participation
  • Une logique de co-construction via les relations partenariales entre acteurs publics, acteurs économiques et organisations d’intérêt général. 

Néanmoins, pour pérenniser leurs actions, il devient indispensable pour nombre d’associations de transformer leur modèle socio-économique, c’est-à-dire l’ensemble des ressources disponibles et le choix de leur affectation afin de mettre en œuvre leurs activités. Le contexte les invite à questionner et à réinventer l’articulation entre deux modèles traditionnellement opposés : 

  • d’une part, un modèle dit d’intérêt général, qui désignerait les actions menées par des organisations philanthropiques, ne reposant pas sur une activité économique, ce qui lui conférerait des droits spéciaux, notamment la capacité de bénéficier de bénévolat, de mécénat ou de subventions publiques ; 
  • d’autre part, un modèle d’entreprise sociale, fondé sur une modèle d’activité économique poursuivant un objectif sociétal. 

On observe ainsi la multiplication de modèles dits « hybrides ». 

Qu’est-ce qu’un modèle hybride ? Quels sont les facteurs qui poussent de plus en plus d’associations à transformer leur modèle ? Quels sont les différents enjeux liés aux choix faits en la matière ?

Entretien avec Jérôme Schatzman, directeur exécutif de la Chaire Innovation Sociale de l’ESSEC.

Commençons par quelques éléments de définition. Qu’entend-on par « hybridation des modèles » en matière d’innovation sociale ?

En biologie, l’hybridation désigne le croisement entre deux espèces ou entre deux variétés d’une même espèce. Dans le domaine de l’automobile, l’hybridation désigne la mise en synergie et la coopération de deux types d’énergie, thermique et électrique notamment, afin d’obtenir une motorisation hybride pour les véhicules. 

En matière d’innovation sociale, on parle de croisement ou de mise en énergie entre deux variétés de modèle économique et entre deux espèces de structures juridiques. 

On observe aujourd’hui plusieurs formes d’hybridation : les associations qui hybrident pour créer des structures « for profit », des entreprises qui hybrident pour créer des associations ou des fonds de dotation et des fondations qui créent des fonds d’investissement ou vice versa. 

Pourquoi hybrider ? Quels sont les raisons, les facteurs, les motivations qui poussent les acteurs de l’intérêt général à opter pour des modèles mixtes ? 

Les motivations sont multiples. Il s’agit évidemment de trouver les ressources pour se développer, avec notamment de nouvelles sources de financement, avec d’une part du capital, du chiffre d’affaires ou des emprunts et d’autre part des subventions et du mécénat. 

Pour certaines organisations, hybrider permet aussi de satisfaire des partenaires qui sont en réalité des clients, en leur proposant des prestations de service, dans le respect des règles fiscales.

Pour d’autres, cela permet également d’intéresser les collaborateurs, en leur proposant des actions par exemples. 

Plus prosaïquement, les modèles hybrides permettent aux dirigeants associatifs de se verser un salaire, là où le financement des salaires peut être difficile à obtenir par le mécénat ou les subventions.

Les choix de modèle ont des implications concrètes pour ces organisations. Quels sont les points de vigilance à garder en tête ?

Le cas le plus fréquent est celui d’une structure « non profit » qui hybride et crée une structure « for profit ». Dans ce cas, on rencontre généralement plusieurs types d’enjeux : 

  • un enjeu de préservation de l’intérêt général et du caractère désintéressé de la gestion
  • un enjeu de gouvernance : il est impératif de garder de la clarté pour les parties prenantes externes, comme les partenaires, les financeurs ou les talents, mais aussi en interne et de bien clarifier le rôle et la mission de chaque structure. Un modèle hybride engendre également davantage de complexité, en matière comptable notamment, puisqu’il faut se poser la question de l’affectation de chaque opération. 
  • Un enjeu d’alignement pour s’assurer que les intérêts des différentes structures poursuivent un objectif commun, que les valeurs de l’organisation sont conservées et que les équipes opérationnelles le comprennent et le ressentent dans leurs missions, quelle que soit la structure à laquelle elles sont rattachées 
  • Un enjeu de définition du changement d’échelle que l’on poursuit : s’agit-il de la croissance de son organisation (en chiffre d’affaires ou en nombre de salariés), de l’impact de ses actions ou de la valeur financière de son entreprise ? 

Au-delà de ces différents enjeux opérationnels, l’hybridation des modèles pose aussi des questions philosophiques et éthiques sur la place de l’intérêt général. C’est pourquoi il est important de bien préparer ce changement d’organisation. Quelles sont les bonnes pratiques en la matière ?

Changer de modèle socio-économique n’est pas une décision anodine, même si elle est souvent la condition d’un changement d’échelle et d’un impact systémique. Les porteurs de projet procèdent en général en trois temps : d’abord bien analyser les activités de la structure et son modèle actuel et les positionner dans le contexte d’évolution de l’écosystème. Ensuite, se projeter à trois ou cinq ans en fonction de son ambition et définir chacun des leviers qu’il est possible d’actionner pour identifier les pistes d’action prioritaires. Enfin, décider d’une trajectoire réaliste pour atteindre l’ambition posée et définir les modalités de suivi et d’évaluation des résultats. 

Propos recueillis par Camille Marc